Depuis le début du XXIème siècle, l’industrie du cinéma a massivement abandonné le celluloïd au profit de l’image électronique : en un sens il est devenu de la vidéo. Des théoriciens (J-P. Fargier, A-M Duguet, P.Dubois…) et des cinéastes (A.Cavalier, J-C Averty, J-L Godard…) avaient pourtant défini des différences d’écritures entre cinéma et vidéo. Effets spéciaux hyperréalistes, caméra fluide aux mouvements improbables… sont-ils les seules possibilités du numérique ? Cette technologie invente-t-elle de nouvelles écritures, ou peut-elle contribuer à enrichir le langage cinématographique ?
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La conversion numérique du processus filmique a placé les cinéastes dans la même situation que les pionniers du cinématographe : il fallait alors inventer des notions nouvelles (par ex. le plan) et des écritures inédites (par ex. le montage) pour initier la naissance de l’art cinématographique. Les cinéastes ont toujours adapté leurs écritures avec les inventions matérielles : optique (lentille, zoom…), machinerie (steadycam, grue…), électronique… Ces inventions produisent-elles de nouveaux moyens d’expression, et de nouveaux types de récits ? Les conférences proposent ainsi de reposer la question « Qu’est-ce que le cinéma ? » du critique André Bazin ; car au fond, cette révolution technique permet de réinventer et mettre en question les principes fondateurs du film.
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1. Quand le cinéma pense la vidéo
Au milieu du XXème siècle la vidéo, avec la télévision, envahit les foyers et très vite tout le champ social et culturel. L’image-mouvement du cinéma (photochimique, ritualisée, géante) a désormais une autre nature : électronique, petite et intime. Elle réforme les conventions de regard et d’écriture, transforme l’expérience du spectateur. Hésitant entre fascination et répulsion, le cinéma n’aura de cesse d’examiner ce nouveau medium, pressentant que la vidéo bouleversera bientôt son existence.
FILMS ÉTUDIÉS : La guerre des mondes (Byron Haskin, 1953) Poltergeist (Tobe Hooper, 1982) Videodrome (David Cronenberg, 1983) Ringu (Hideo Nakata, 1998) Miami vice (Michael Mann, 2006) Double take (Johan Grimonprez, 2010)
2. Quand la télévision pense la vidéo
Dès les années 1950, la télévision s’interroge sur la nécessité d’un langage autonome, différent de celui du cinéma. Les studios de l’école des Buttes Chaumont édictent des règles de réalisation : le plan large n’est pas adapté au petit écran, le gros plan devient alors la norme. Le réalisateur Jean-Christophe Averty révolutionne la mise en scène : il prône l’image électronique à travers ses possibilités plastiques. Au même moment que les pionniers de l’art vidéo, ce « téléaste » revendique la création d’un nouveau langage audiovisuel. Il explore des techniques et des machines avec ses ingénieurs : mixage, trucage, incrustation, instantanéité de la vidéo sont réinventés pour créer une poésie électronique (inspirée du collage dadaïste). Son écriture de l’image composite déterminera toute l’esthétique télévisuelle jusqu’à nos jours.
ŒUVRES ÉTUDIÉES
- Verts pâturages (adaptation de la comédie-ballet éponyme, 1964)
- Ubu Roi (adaptation de la pièce de théâtre éponyme,1965)
- Fragson, un roi du Caf’Conc’ (fiction biographique,1969)
- Alice au pays des merveilles (adaptation du roman éponyme,1970)
- Melody Nelson (vidéoclip, 1971)
- Alfred Jarry (documentaire, 1995)
Cette conférence a été réalisée dans le cadre du colloque international « Une télévision allumée » (Université du Québec à Montréal, Cinémathèque Québecoise, Festival International du Film sur l’Art – 2015) –
L’article a été publié dans la revue CINéMAS (Université de Montréal) :
https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2016-v26-n2-3-cine03018/1039367ar/
3. Image virtuelle : la réalité en question
La technique permet de rendre désormais imperceptible la retouche et peut même créer ex nihilo une image. La modification génétique de l’image, l’hybridation réel/virtuel, l’image numérique et de synthèse, reposent la question du simulacre, et de la relation qu’entretient le cinéma avec la notion d’empreinte, d’enregistrement, de trace – ce qui au fond questionne la notion de réalité même.
FILMS ÉTUDIÉS :
La jetée (Chris Marker, 1962)
Level Five (Chris Marker, 1996)
ExistenZ (David Cronenberg, 1999)
Avalon (Mamoru Oshii, 2002)
Gravity (Alfonso Cuarón, 2013)
Real (Kiyoshi Kurosawa, 2013)
4. La chair de l’image :
le cinéma de genre ausculte sa mutation numérique
Un film évoquant la réapparition d’un défunt (fantôme, vampire…) énonce le pouvoir du cinéma : faire revivre les morts. Ainsi la figure du zombie (seul mythe moderne selon Deleuze et Guattari), corps animé réduit au mécanisme mobile, renvoie à l’illusion de mouvement du dispositif cinéma. Aujourd’hui certains films utilisent cette figure pour penser la mutation numérique. Cette conférence examine la corporéité de l’image cinéma : les potentialités picturales et expressives du celluloïd désormais reformées par l’image numérique. Le film numérique de genre réinvente cette carnation plastique comme recherche d’une possible incarnation, à travers le pixel (glitch, datamoshing…).
FILMS ÉTUDIÉS : Nosferatu (Friedrich Wilhelm Murnau, 1922) Persona (Ingmar Bergman, 1966) Dawn of the dead (Zack Snyder, 2004) Death Proof (Quentin Tarantino, 2007) Planet Terror (Robert Rodriguez, 2007) Diary of the Dead (G.A. Romero, 2010)
5. Cadre, écran, affichage
La question de la forme du cadre et de l’écran a toujours été fondamentale : carré, rectangulaire, rond, séparé, multiple… Aujourd’hui l’existence du film n’est plus assurée à travers le dispositif historique (salle-projecteur-écran) ; sa diffusion se fera in fine toujours via des écrans individuels et pluriels (ordinateur, tablette…). Ce simple fait refonde la conception du film : de la taille de l’image, du format du cadre, jusqu’au rapport à l’écran. L’écran n’est plus une surface de projection mais une interface d’affichage. L’écriture d’une telle image protéiforme est explorée, comme la question constitutive du cadre et du plan qui reste première.
FILMS ÉTUDIÉS : La Chatte des montagnes (Ernst Lubitsch, 1921) Sisters (Brian de Palma, 1973) The Bay (Barry Levinson, 2012) Unfriended (Levan Gabriadze, 2014) Gosth in the shell (Rupert Sanders, 2017)
article sur l’écran-affichage : http://cinematologie.net/unfriended-critique/
6. Subjectivité numérique :
le cinéma à la première personne
Les films en caméra subjective se multiplient, grâce aux caméras numériques légères et maniables : embarquées, à l’épaule, au poing… Ces films inventent des solutions visuelles, des effets de cadre (bougé, désaxé), des compositions plastiques (flou, bug, filé…), des figures de montage, et narrations singulières. Le cinéaste Alain Cavalier avait prédit cette possibilité de narration, en affirmant que l’invention des caméras portatives a rendu possible une écriture du « Je », propre à la littérature. La subjectivité élabore aussi un rapport au temps spécifique, par sa narration « directe ». Enfin, comme la caméra ne disparait jamais, elle met le dispositif en abyme, et renouvelle la question des media et du format.
FILMS ÉTUDIÉS :
Rec (1 & 2, Paco Plaza et Jaume Balagueró, 2008)
Cloverfield (Matt Reeves, 2008)
Irène (Alain Cavalier, 2009)
Paranormal activity (Oren Peli, 2009)
Snow on tha Bluff (Damon Russell, 2012)
Leviathan (Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, 2013)
Hardcore Henry (Ilya Naishulle, 2016)
Ces conférences examinent l’histoire des techniques et des inventions formelles, à travers l’analyse de films récents tournés en numérique, mis en perspective avec des précédents dans l’histoire du cinéma.
Chaque thème ou film peut constituer une conférence indépendante.
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