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DECONSTRUCTION DE L ‘IMAGE PUBLICITAIRE
3 publicités télévisées pour « alicaments », ces aliments qui ne servent pas à la nutrition… Ces spots différents reprennent pourtant exactement les mêmes codes visuels et le même argumentaire : solution médicale à un problème / scientificité miraculeuse du produit / consommation obligatoire « chaque jour ».
Pour « lire » une image, il faut comprendre qu’elle n’est pas uniquement le véhicule d’un discours. D’abord, elle contient des messages explicites mais aussi implicites : connotations, évocations etc… Ensuite et surtout, voir une image c’est ressentir. Le propos d’une image est donc dans l’émotion, l’impression et la sensation qu’elle provoque bien plus que dans le sujet montré – et peut même être indépendant de lui.
PUB 1 : GESTE MINCEUR
Le spot ouvre sur un travelling en plan d’ensemble pour situer l’action (photo 1) : une salle de sport où s’entraînent des gens. Ce plan annonce déjà la rhétorique de la mise en scène par son mouvement et sa rapidité : il dure 16 frames. Il y a 25 frames (images) par seconde dans un film vidéo. Donc ce plan dure moins d’une seconde. Mouvement et rapidité appuient ici le sujet montré : le sport, la dynamique.
Picturalement il est composé par une vaste profondeur de champ, qui permet de construire une image où l’action n’occupe qu’un tiers de l’image (en bas). Au centre le regard est donc dirigé vers les 2 autres tiers, le plafond. Pourquoi ? Pour mettre en avant les lignes croisées, qui prendront toute leur signification ensuite. Dans les sciences cognitives cela s’appelle une amorce, qui provoque un encodage (perceptif ou sémantique) : on montre au cerveau un rapide stimulus, qu’il reconnaîtra ensuite plus facilement lors d’un second stimulus, ce qui en orientera alors son interprétation.
Les couleurs annoncent le produit : bleu et blanc sont les codes couleurs des produits frais type yaourt, car ils évoquent le froid (la neige blanche et ses reflets bleutés). Tout le spot est dans ces tons. La charte couleur du nom du produit sera insérée dans le second plan avec le rouge (T-shirt, pantalon) qui complète le bleu/blanc. Ce plan demi-ensemble se rapproche des personnages, et le 3ème plan (américain) davantage, pour suivre leur dialogue qui achève d’expliquer le thème de la pub (« tu es toujours la plus mince, c’est quoi ton secret ? »). Le cadre est en contre-plongée, ce qui permet encore d’apercevoir les lignes du plafond (2ème encodage).
4ème plan en contre-plongée (photo 2) : en 1er plan les hanches d’une protagoniste, en second plan le buste de l’entraîneur, en arrière plan le miroir qui reflète les jambes des gens, et encore le plafond. Ces fragments de corps continuent d’expliquer le sujet du spot : le travail de perfectionnement du corps, « pièce par pièce », comme une machine : il devient un objet que l’on peut façonner.
5ème plan intéressant : quasi le même que le 4, ce qui crée un raccord étrange, une saute. Le coté abrupt du montage renforce l’impression de dynamisme pour le spectateur. Puis ce plan se déplace (photo 3) en panoramique filé (qui provoque des traits hachés et rapides) : raccord tout aussi brutal sur le 6ème plan (photo 4), gros plan cette fois pour bien montrer le produit.
Le 7ème plan (photo 5) montre les 2 personnages autour du produit : entrée dans le champ de jambes en 1er plan, qui dynamisent l’image et continuent le discours (minceur / fragment / mouvement). Le 8ème plan montre les personnages buvant : l’image souligne le discours « geste minceur » par le geste d’ingurgitation du produit. Elle fait penser immédiatement à la prise d’un médicament, geste rapide qui n’a rien d’une dégustation
Vient alors l’essentiel du propos image : le schéma virtuel (photo 6). Cette image renvoie avec force à l’iconographie scientifique (documentaire, scanner, cliché médical…) : image de synthèse (reconstitution qui s’assume « irréelle » précisément par sa capacité à montrer ce que l’œil ne peut voir). Enfin le quadrillage en lignes croisées, type image informatique : les fameuses lignes qui avait été encodées auparavant et qui se trouvent justifiées ici. Le buste coupé reprend la thématique du fragment ; de plus, le corps sans tête permet une identification de tous (puisque anonyme). Cet extrait de corps permet aussi de diriger l’argumentaire de l’image sur un aspect « technique » (à la limite de l’autopsie). Le nom « Lineactis » a deux fonctions : « faire médicament » (consonance latine comme dans l’industrie pharmaceutique), et le « TM » fait penser qu’il s’agit d’une nouvelle formule brevetée par les chercheurs de chez Nestlé. Sur le ventre (là où agit ce produit) sont situés les « agents actifs » : fibres, calcium, thé vert, en forme ronde comme une représentation de molécule. Les fibres et thé présentés de la même façons que la formule du calcium sont associés à l’idée de chimie et se parent d’une aura médicinale. Une lumière les parcourt, façon de prouver l’interaction « énergétique » qui s’opère là. L’image virtuelle est associée à l’imagerie scientifique (IRM, scanner etc…) : elle se montre ici comme preuve de l’argument médical. Elle a pour fonction non pas d’expliquer, mais de montrer au spectateur que « c’est tellement scientifique que l’on vous fait un schéma pour que vous compreniez ».
Le plan 10 (un peu plus qu’une seconde) revient à l’entraînement, suivit de 2 plans des personnages dansant : plan 11 fragment de ventre (rappel à la fois du travail du corps, et de l’action dans le ventre du produit) qui dure 12 frames, et plan américain (36 frames). Puis l’on passe à la séquence de la caméra de surveillance (photo 7), où tout se joue par la rapidité du montage, quasi subliminal. Plan en plongée (comme la caméra montrée) avec des lignes obliques et des cassures géométriques qui poursuivent la dynamisation du regard tout en pointant agressivement les personnages. Il dure 16 frames. Plan 13 (gros plan visages finissant en mouvement filé) : 12 frames. Plan 14 (plan rapproché caméra, photo 8) : 6 frames. Plan 15 (gros plan caméra) : 1 frame. Plan 16 (idem) : 1 frame. Plan 17 (idem) : 1 frame. Plan 18 (retour au plan rapproché caméra) : 1 frame puis flash 5 frames, puis zoom arrière 2 frames.
On passe alors en vision subjective de la caméra (photo 9), vue d’ensemble sur les 2 personnages féminins qui dansent à l’intention du surveillant, c’est-à-dire le spectateur lui-même. A l’évidence cette caméra agressive met le film en abyme ; le regard de la surveillance (forcément ici masculin) renvoie au véritable sujet du spot : le regard de l’autre, celui qui examine le corps (que l’on a donc travaillé pour lui plaire). Il dure 18 frames ; puis plan rapproché du ventre (toujours corps/action produit), 8 frames. A nouveau plan d’ensemble 16 frames, gros plan ventre 15 frames. Gros plan caméra : 6 frames, et dernier plan (visage des protagonistes) de 19 frames (il se finit toutefois en filé, il faut donc compter 17 + 2).La plupart des plans dure une demi-seconde, certains 1/25ème de seconde. Ce montage hyper-rapide provoque des effets : d’abord il a l’avantage de faire ressentir le propos sur le sport (vitesse, énergique). Mais surtout l’œil est obligatoirement attiré par un mouvement, ce que les neuro-biologistes appellent la « réponse d’orientation ». Or pour l’œil un mouvement est en réalité une distorsion de la lumière (un masquage) : le changement de plan rapide crée un mouvement qui attire et capte l’attention du spectateur. Les tests de psychologie expérimentale ont prouvé que le cerveau sollicité ainsi se remémore plus facilement un produit (2).
Enfin les derniers plans, produit et marque. Plan rapproché (photo 10) des produits dans le frigo (comme déjà prêts à l’emploi), disposés en packs sur des lignes croisées qui font se remémorer l’argument scientifique du schéma. Les packs indiquent une notion de cure, produit qu’il faut consommer régulièrement pour être efficace (on aurait pu présenter un yaourt seul, cela aurait eu un autre effet). Le sigle « nouveau » attise l’envie, comme tout ce qui est nouveau dans l’imaginaire consumériste. Fond blanc, touches de bleu, rappel du rouge par le logo « nouveau ». Cette composition de couleurs se retrouve dans le plan final. Il répète une dernière fois tout l’argumentaire du spot : personnage-buste qui soulève son T-shirt, montre son ventre sur lequel est inscrit le produit et incrusté le logo de la marque. Celui-ci avance en zoom, encore une fois parce que l’œil est attiré par un mouvement.
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CONCLUSION
Pour être efficace une publicité doit faire mémoriser ses éléments (les publicitaires appellent cela « impacter ») : pour cela elle use du « principe de redondance » en les répétant au minimum 3 fois. Afin que cela soit imperceptible (pour ne pas être trop intrusif) elle utilise les facultés polysémiques de l’image, qui peut produire plusieurs niveaux de discours, et déployer des messages sous-jacents. D’abord ici l’argument « médicament » a été répété plusieurs fois de 4 façons : lignes quadrillées, schéma scientifique, images de ventre (il agit dedans cela se voit dehors), discours verbal.
Comme dans toute publicité, il y a un 2ème objectif : vendre le seul produit ne suffit pas, il faut induire l’idée d’un style de vie et imposer une culture, qui créera un réflexe d’achat durable. Il y a en tout 7 plans de ventre (ajoutés à une série de plans de jambes, hanches). Toutes les images de fragments de corps ont ici alors un double effet : érotiser subtilement l’image (le gros plan fétichise), tout en rappelant le champ sémantique du médicament (action du produit). Et celui du sport, dont la finalité n’est pas de prôner l’entretien physique mais d’imposer un idéal de minceur : c’est-à-dire diffuser un modèle de référence auquel se conformer. Pour citer le sociologue David Le Breton1 : « on nous apprend la laideur. Le monde du marketing enseigne à des centaines de millions de femmes qu’elles sont laides, afin justement qu’elles recourent aux produits qui vont les « embellir ». En d’autres termes qui vont plutôt les rendre conformes à un modèle. »
Joris Guibert 2012
1 : interview documentaire « Éloge de la laideur » (Isabelle Cottenceau)
2. lire l’ouvrage du neurobiologiste Sébastien Bohler,150 petites expériences de psychologie des médias pour mieux comprendre comment on vous manipule, éditions Dunod
→ autre analyse :
Imaginaire & représentation de l’insécurité dans le JT
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